Résidence d’artistes à Torigni-sur-Vire – Céleste, 1 ère semaine de résidence

L’association Bouillonnant Valthère en partenariat avec la mairie de Torigny-les-Villes a lancé un appel à candidatures pour une résidence de territoire, au premier semestre 2024, sur le thème “FAIRE ENSEMBLE/VIVRE ENSEMBLE, nos espaces publics, enjeux de territoire, marqueurs de société”.

La résidence acceuile Céleste Thouin et Mathilde Bennett, 2 artistes issus de disciplines différentes pour porter 2 regards distincts mais complémentaires sur le sujet. Les artistes travaillent avec et sur le territoire. Leurs démarches et leurs processus créatifs comportent une dimension collaborative et participative. 

Carnet de bord de la 1ère semaine de résidence de Céleste.

Cette semaine, à Torigny-les-Villes, nous avons rencontré une ancienne ouvrière textile, des femmesde ménage, une ancienne éleveuse, des pêcheurs, des bibliothécaires, le président de l’association de pêche, un ancien conducteur de train, Fernand et Colette, des écoliers de Guilberville, les trois cantinières qui nous accueillent chaque midi pour le déjeuner, l’enseignant d’arts plastiques, le proviseur du collège, l’adjoint à la culture, Yannick et Stéphanie, le couple aux trente poules, Michel l’ancien directeur de l’école de Guilberville et Virginie l’actuelle directrice de l’école, Elena qui traverse la départementale à cheval pour aller à la boulangerie, Simon qui aime l’escalade, les jeunes joueuses du club de foot Fc des Etangs, Joël du lundi adossé à son érable, Pierre, Laurent, Daniel et Rémy du marché aux veaux et Alain, comme un guide de montagne, le correspondant Ouest-France de Torigny.

Avec Mathilde nous avons discuté et arpenté les communes avec attention et nous avons pu découvrir la richesse des relations et des paysages de ces 4 communes.

Suite à nos discussions avec des habitant·es, je comprends que la commune nouvelle de Torigny-les-Villes est marquée par une transformation sociale de ses habitants. Anciennement agricole, la population est aujourd’hui majoritairement et de plus en plus ouvrière. J’ai d’ailleurs consulté les données Insee 2020 de la commune pour comprendre ces enjeux sociaux et économiques.

Cette mutation peut s’observer dans l’espace public et se sent au travers des discussions. Les vies et les temporalités se croisent dans Guilberville aussi bien qu’à Torigny.

La temporalité du marché aux veaux avec ses éleveurs et ses maquignons, les petits paniers et animaux du marché forain cohabitent avec l’autoroute, les lotissements, l’entreprise située parfois à des dizaines de kilomètres, les futures caméras de surveillance, la supérette Carrefour et les différentes transformations du territoire.

La dimension ouvrière de ces communes rurales ouvre de nombreuses questions de relation à la campagne. Comment comprendre les espaces publics à la lumière de cette transformation de fond. Quelle porosité peut-il exister entre cette campagne bocagère et ces communes de Torigny. J’interprète le marché aux veaux et la présence des petits paniers dans le marché comme les traces de ces anciens rapports à l’espace public. Un rapport à la place et à la rue marqué d’abord par le travail, l’échange économique et la socialisation. En discutant avec les éleveurs de vaches laitières à la retraite, on sent assez clairement l’importance de ces moments professionnels et sensibles que représentaient les foires une fois par mois et les marchés une fois par semaine. A. nous a parlé de l’ancien bistrot de la place de l’Orangerie autrefois plein à craquer les jours de marché et de foire.

La part d’agriculteur·rices en 2020 ne représente qu’1% de la population à Torigny soit 36 personnes et 75 en comptant les familles. Ce ne sont pas elle.ux qui caractérisent la commune aujourd’hui. Il ne doit pas y avoir de nostalgie ni de folklorisation, néanmoins, je trouve intéressant de prendre cela en compte car la campagne marque encore complètement ces villages.

Au fil de nos rencontres nous avons entendu une remarque presque récurrente. Les espaces publics sont vides. « Ce n’est plus comme avant, on ne connaît plus les gens qui habitent le village, ni même nos voisins » ; « les gens ne disent pas bonjour ». Que cela soit du côté des nouvell·eaux arrivant·es ou des ancien·nes le discours est plus ou moins le même. Pourtant, nous, extérieurs à la commune, nous avons reçu un accueil franc et chaleureux de toutes les personnes que nous avons croisées. J’ai discuté notamment avec un couple dont le jardin était plein de poules, d’oies, de chats et de chiens.

Ils sont venus habiter Guilberville pour la liberté de vie qu’offre un terrain à la campagne. Ils sont donc accueillants mais pas tellement attirés par la vie communale du village.

Je suis touché personnellement par les matériaux paysans, naturels ou de débrouille que j’ai pu découvrir en parcourant le territoire Torigny. J’ai été particulièrement touché par ces bocages d’hiver, les tas de branches, l’élagage, les haies, les talus, la terre noire, le fumier, les noisetiers, les ronciers et l’architecture en terre, brique, béton, taule et chaume de certaines maisons. J’ai été sensible aux matériaux qui caractérisent ces pratiques anciennes et peut-être désuètes de la paysannerie et de la ruralité.

Il ne s’agit pas de mon point de vue d’idéaliser un passé mais de jouer à le faire ressurgir par ces matériaux que j’aime utiliser et mettre en avant. Des matériaux à la fois caractéristique du sol mais aussi des activités contemporaines qui marquent la commune comme les jantes que l’on retrouve au bord des routes ou les leurres de pêche enfouit dans la berge de l’étang.

En rentrant chez moi, j’ai cherché à savoir s’il y a des chercheur·euses qui travaillent sur les espaces publics en campagne. J’ai trouvé un article intéressant de Clément Reversé, chercheur en sociologie de la jeunesse et des espaces ruraux. Celui-ci explique le caractère stigmatisant et exposé des espaces publics aujourd’hui dans les milieux ruraux (https://theconversation.com/dans-les-campagnespourquoi-les-jeunes-se-detournent-ils-des-lieux-publics-186540). 

Le livre “Ceux qui restent” de Benoît Coquard tente de montrer que la socialisation se passe aujourd’hui davantage dans les salons des habitations privées. « L’espace public laisse les personnes vulnérables vis-à-vis de leur réputation, elle sont exposé·es au stigmate de la fainéantise ou du chômage. » Je trouve cette idée forte. Effectivement dans les grandes villes l’espace public ne représente pas les mêmes enjeux. Ce n’est pas là que peuvent se jouer les réputations professionnelles et intimes et les réseaux de connaissance. 

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